I COULDN’T TELL YOU

Ma mère est morte le 27 novembre 2020.

 

Dans une de ses conférences, Daniel Sibony, philosophe et psychanalyste, évoque le deuil comme une catastrophe. Il y énonce qu’à l’interrogation : « Pourquoi ce mal ? », il convient de se poser la question : « Qu’est-ce que je vais en faire ? ». 

Ce que vous avez à faire, dit-il : « C’est de recréer le monde, mais pour ça, vous avez besoin des autres ». 

Je m’y suis employé ici pour qu’enfin, ce soit derrière. Non pas que je n’y pense plus mais que le témoin, ainsi planté, constitue un premier amer sur la carte inconnue du futur.

Une autre philosophe, Cynthia Fleury, vient d’écrire Ci-gît l’amer convoquant cette fois l’amertume. J’y ai longtemps pensé comme titre. D’autres aussi ont été abandonnés. Chacun avait son attrait. 

 

Pour une installation comme celle-ci les lieux imposent une contrainte. Comment sont les murs, le sol, la lumière ? Qu’y disposer pour atteindre le juste équilibre ? Quelle circulation naturelle entre les différentes propositions visuelles ? Comment faire de cette histoire banale une entité que le spectateur pourra faire sienne ?

 

Mon travail comporte souvent une ou plusieurs vidéos. Et penser à sa mère c’est penser l’origine. À la naissance de l’art vidéo, il y a Nam June Paik. C’est pourquoi, à l’image d’un chef d’orchestre s’emparant d’une œuvre qu’il n’a pas composée, je propose ici une réinterprétation du Buddha TV qu’il crée en 1974. 

Là, au centre de la pièce, une table, une table à repasser. Dessus un drap noir laisse apparaître un arbre généalogique. Un buste, celui de ma mère, regarde une télévision. Les images de sa vie repassent en boucle, communes à celles de chacun d’entre nous. 

Un peu en amont, près de l’entrée, un tas fait de boîtes. Des boîtes noires, comme on parle de zones inconnues, celles qu’elle n’a pas voulu voir dévoiler ou qu’on n’a pas su lui faire dire. Des boîtes noires comme celles des avions qu’on recherche et qui nous révèlent parfois ce qui a conduit à cet écart à la trajectoire. Quelques-unes ont été ouvertes. Avions-nous le droit ?

Près de la table, sur des carreaux de cuisine ou de laboratoire-photo des clichés qui semblent vierges. Vont-ils s’assombrir peu à peu à l’épreuve du temps sans rien montrer que leur noirceur ou sont-ils les images latentes d’un bonheur passé qui ne demande qu’à être révélé ?

Enfin, plus loin encore, la dimension d’une tombe : 2m x 1m. La vie, comme les images de la vidéo, toute contenue dans un rectangle. L’iconostase verticale faite des panneaux dorés sertis d’icônes des monastères orthodoxes s’est muée en ce rectangle d’or horizontal. 

Fine couche entre la Terre et le Ciel. 

 

Jean-Michel Héniquez

Aubais mai 2021.

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